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16 janvier 2011

6 heures

 

J'arrive aux alentours de l'heure pile, attendant quand même ces secondes interminables. Il y a d'abord cette fille qui balance énergiquement la jambe, pile dans ton champ de vision et tu sais, parce que tu la connais, qu'elle ne cessera jamais de la balancer. Tu aimerais bien la baffer ou simplement le lui dire mais tu sais que ça ne sert à rien, et puis elle peut bien être chiante, en vrai elle est sympa. A la distribution du sujet, il y a l'espoir de seulement trois secondes pendant lesquelles tu te concentreras suffisamment pour l'oublier.
Ensuite, il y a la découverte, une citation sur laquelle nous devons réfléchir - original ! - et la perplexité, un pourquoi sans parce que, un comment perdu dans le gouffre d'une méconnaissance totale ou, pire, d'une perte complète de mémoire. Tu essaies de te calmer, de comprendre. Tu commences par pondre le plan bateau, celui du 'un mot une partie' et qui, bien sûr, ne colle pas ; en tout cas, pas à ton niveau. Alors tu flanches légèrement et tu tentes la prière, pour que l'auteur - mort évidemment ! - vienne prendre possession de tout ce qui peut te servir à écrire, ou du moins, qu'il t'explique un peu. Tu mets trop de temps à te rendre compte qu'en plus d'être inutile, c'est idiot. C'est à ce moment-là que l'homme à la citation devient ton ennemi juré, l'écrivain surestimé qui n'a rien à faire dans cet examen tellement il est nul. Tu te mets en tête que c'est encore un jeu ridicule de prof qui invente des réflexions à portée hautement philosophique derrière une phrase à la con.
Je passe le détail des minutes et secondes, toujours est-il que tu es déjà trop proche de la fin, alors tu regardes la pendule, et parce que ta place (n°13) est placée juste devant, ça t'éclate grave. Tu te dis à :20 je commence le baratin.
Évidemment, l'aiguille n'aura besoin que de quelques secondes pour se déplacer de 10 minutes. La main hésite au-dessus de la copie quand la première phrase survient un peu par hasard. Tu la relis et voilà. Si, dès la première phrase, tu utilises le blanco, tu sais que c'est foutu.
Faisons au mieux, limitons la casse, etc. Juste remplir. On oublie les confusions pathétiques. Le pire, c'est que tu es censée maîtriser le sujet et on ne te le pardonnera pas si on viole ton anonymat. Mais je confonds les auteurs, à chaque fois et sans raison particulière. Michaux et Mallarmé, Pascal et Platon... C'est inexplicable, je confonds bien ma droite et ma gauche, un gant et une chaussette ! C'est alors les pertes de temps inutiles, une autre citation, une œuvre et le doute : qui a bien pu dire ou écrire ce truc ? Et parce que ce n'est pas déjà suffisant, l'orthographe t'échappe aussi, la grammaire, les règles de base. Tu jettes autour de toi un regard désespéré et tombes sur l'étudiant étranger, à portée de main, qui misère aussi mais qui, lui, a droit au dictionnaire.
Ensuite, à moins de trente minutes de la fin de l'épreuve, tu as toute une série de mini déclics, des idées qui surgissent miraculeusement. Va mettre en œuvre un miracle ! Trop tard mais parce que tu y tiens, tu essaies quand même de les refourguer, n'importe comment mais franchement, on s'en fout pas mal. C'est plus du tout la même chose quand tu n'as pas les touches magiques qui permettent d'insérer n'importe où, de remettre ta phrase au bon endroit ou de supprimer définitivement et sans laisser de trace. Le papier t'oblige à garder une certaine cohérence mais surtout à admettre qu'il y a des choses que tu ne pourras pas ou plus écrire.
Enfin, tu termines par intégrer tous les synonymes que t'as pas pu caser, les mettre bout à bout jusqu'à ce que ça fasse une phrase. Tu fermes la copie, léchouilles le bord du cache et te lèves en ayant l'audace d'être fière. Tu ne relis pas parce que tu ne relis jamais et tu sors avec la satisfaction d'avoir terminé avant qu'on te dise que l'épreuve était terminée mais surtout la jubilation d'avoir un nouvel écrivain à haïr.

Bande-son : Monkey Roll - Kalako

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