Dans la pièce d'à côté, la vieille dame halète comme une chienne. Obsédée par ses soupirs plaintifs, j'espère sa mort, une agonie longue et douloureuse, pour que je puisse m'y baigner avec délectation jusqu'à la joie de ressentir son dernier souffle. Cette pute reste allongée comme un cadavre qui tente de revenir. Peau pâle, œil éteint. J'irais lui remonter sa couverture si la puanteur de son manège ne m'exaspérait pas assez pour ne pas laisser s'exécuter mon envie de lui planter mes ongles dans le cœur. Je me dis, quitte à jouer la comédie, autant le faire bien, ça évite de mentir.
Sur un bout de papier déchiré, instinctivement deviendra boule de papier perdue au fond d'un sac, entre deux instants où je ne suis plus capable que de me laisser accaparer par cette matière visqueuse qui habite ma tête, ses réflexions stupides sur des détails futiles, je gribouille de mon écriture maladroite : "L'heure est à la distance ironique par rapport aux grands sentiments."
Sur le chemin qui me mène à ma boulimie de mots, "N'importe où hors du monde" fut tagué grossièrement sur un mur en miettes, d'un bâtiment inutile, sous des affiches anciennes, de revendications oubliées. Comme un hymne qui porte dès le matin, la devise qui ranime l'espoir, la marche en avant, l'avancée vers la fin, vers le loin, vers nulle part. Maintenant que mes jours défilent de ce côté, je pensais pouvoir me l'imprimer chaque jour. "N'importe où hors du monde" fut alors effacé, peint, gommé vulgairement, sur ce mur toujours en miettes, de ce bâtiment toujours inutile, sous ses affiches toujours présentes, de revendications toujours oubliées. Les hommes, pinceau à la main, n'ont décidément aucune once de poésie, un outil d'art comme l'arme destructrice de beauté.
Je me souviendrai des débuts de semaine, de ce couple de tourterelles qui dansent et flirtent, quand le soleil s'élève au zénith, éclairant la laideur des volets métalliques, des traces de moisissure et des tâches de poussière que le climat de mon monde dessine sur les murs. Quand je fonds au travers de la vitre, ma feuille quadrillée, brouillon indistinct de notes attrapées au hasard, l'ombre du couple s'allonge sur ma table blanchâtre, des formes noires jusque sur mes bras, me laisse en tatouage éphémère, cette marque d'amour qui me prouve que la poésie se fait plus belle lorsqu'elle existe dans l'horreur du monde réel.
Que mon imagination aille se faire foutre. J'ai trop pleuré ces gens qui n'existent pas.
Bande-son : Sour Times - Portishead