Don't scream !

« - Calme de peste, où la fièvre
Cuit... Le follet damné languit. »
Tristan Corbière, Paysage mauvais

L'araignée recroquevillée pendouille au bout de son fil, morte sur le coup quand l'empressement de l'intoxication a brutalement ouvert la porte. La lampe aveuglante n'a pas manqué la grosse velue à huit pattes qui traversait de biais le seuil, tentant sans doute d'échapper à ce signe de vie assassine qui menace de sa semelle. Elle ne survivra pas à la précipitation du poison et son sang jaunâtre salit maintenant le bitume et ses membres déchiquetés s'éparpillent à chacun de mes pas.

Don't scream.

Les promenades nocturnes restent une habitude inexpliquée que seule une fatigue inexplicable pourrait rayer du programme. Immobile, le regard dans le vide, je parlais toute seule lorsqu'une petite boule d'un jaune refroidi a traversé mon ciel. Je n'ai pas dérangé la police, j'ai fait un voeu. La lune est lugubre, elle avait peut-être pleuré. Un chat s'est engouffré dans la verdure, un léger sursaut m'a réveillé. Je préfère les monstres aux fantômes, les gueules écrasées aux âmes translucides.

Don't look straight into the devil's eyes.

Je me suis toujours méfiée de ce qui pouvait passer sous une porte. Spectre, poussière, insecte, bruit et lumière. C'est louche, c'est trop petit pour laisser en paix. Le petit est le reflet de notre monde, dans ses détails et ses perversions. Il gratte et chatouille et souvent il grimpe et mord. Et un filet de sang se glace et les légendes prennent vie. Je scrute le sol à la recherche de l'ultime bestiole à écraser, attentive aux moindres bruits qui se rapprocheraient. La chair de poule m'évite, ma peau est douce comme toujours. J'ai su que j'avais grandi quand, seule dans une maison vide, j'ai pu m'endormir avant l'horizon éclairci et le chant des oiseaux.

He's seen you now.

Ce ne sont même pas des globes profonds, éventrés de couleurs ou noyés de vide. Mes paupières baissées sont lumineuses et ne laissent paraître que trois petits points qui scintillent. Comme un feu d'artifice qui exploserait entre l'abyme de mon esprit et le néant de ma réalité. Il n'y a que dans ce couloir que ma peur est légitime. On gratte à la porte de ma chambre et aucune ombre visible sur le rai. Je souffle que je ne suis pas là et la lumière s'éteint.

Don't scream.

Personne ne t'entendrait.
Plus personne n'écoute.

...

Bande-son : Russian Lullaby - John Coltrane