« Je ne veux plus hurler contre les autres, je ne suis pas résigné, j'ai compris qu'ils sont comme ils décident d'être et non pas comme je désire qu'ils soient »
Nanni Moretti
Déjà, ça m'avait gavée de voir que quelqu'un d'autre avait posé son cul sur ma chaise. Je sais que tout ne m'appartient pas, alors je me suis affalée deux chaises plus loin pour laisser une place dispo à sa pote. Quand finalement, tout le monde est installé et que le cours commence, j'ai ressenti une soudaine envie de distribuer des claques. Je déteste les gens bavards quand ils imposent leurs bavardages aux autres. Si encore c'était intéressant mais les histoires de shampooing et de sandwichs me passent généralement au-dessus. C'était long et ennuyeux, je le concède.
Nous fuyons l'ennui comme la peste. Ces instants qui s'attardent dans un semblant de vide intersidéral où rien ne semble pouvoir combler le besoin de bouger et qui arrivent le plus souvent lorsqu'on n'a pas le droit ou la possibilité de se remuer et d'aller voir ailleurs si l'atmosphère est moins lourde. L'ennui n'est pas réel. On l'évite car il représente le moment de faiblesse, quand nous nous retrouvons confronter à notre tête et nos sensations. Livrés à nous-mêmes, nous nous confrontons à ces questionnements intérieurs, inévitables pour qui fonctionne correctement. C'est l'intime qui déborde et nous rend démunis face à l'extérieur. Il peut nous parler de vérité, nous toucher au plus profond, nous permettre de trouver des réponses. L'accepter est une preuve d'intelligence. Je pense !
Mon véritable ennui est celui que m'ont infligé ces gamines qui se sont mises à remuer la table, chuchoter trop fort pour que ça reste un chuchotement et répéter à quel point c'est chiant. Quand on s'ennuie, on pense souvent pouvoir ennuyer les autres, au cas où ils ne s'ennuieraient pas déjà devant la longueur qui se déroulait devant leurs yeux. Qu'elles se laissent porter, qu'elles dépassent ou qu'elles dégagent. Qu'elles se laissent raconter l'histoire comme des gosses à qui on raconterait une histoire pour les endormir, qu'elles puissent y réfléchir et se demander ce qu'il peut bien y avoir derrière ce semblant d'ennui. Parce qu'il y a toujours quelque chose de dissimulé, toujours quelque chose d'intéressant à tirer de tout. Rien n'est totalement nul et dénué d'intérêt.
J'avais déjà lâché un soupir désespéré quand j'avais ouvert la porte. Un deuxième m'aurait paru malpoli. J'ai pensé comme une prière : « J'étais là la première, je ne vais pas bouger parce que vous avez décidé de faire vos chieuses ! ». Elles persistent. Si le silence les angoisse, elles peuvent toujours opter pour la discrétion. À la fac et en amphi, tu sors du cours quand tu le souhaites, tout le monde s'en fout. Elles insistent et seront même les dernières sorties. C'est qu'elles sont sérieuses ces filles, parmi les meilleures.
C'est décevant de se rendre compte que les gens les plus intelligents sont des gens qui ne s'intéressent à rien, n'ont aucune curiosité, manquent de respect envers ceux qui ne partagent pas leurs goûts, rechignent au moindre effort cérébral et se contentent de quelques minutes pour porter un jugement. Pourquoi sont-elles restées si c'était tellement chiant ? Pourquoi ont-elles préféré commenter leurs dessins ridicules plutôt que de partir ? Parce qu'il fallait faire bonne impression !
Bande-son : Angel Face - The Outcasts