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12 septembre 2009

La nymphe

Je ne devais pas être là. Tout le monde le disait. Personne ne m'en avait empêchée. Ils m'ont fait promener, de portes dérobées en coins isolés. Ils devaient cacher. Quelque chose à moi. Moi à quelqu'un. Cela faisait plusieurs semaines que je ne sortais plus que pour aller en cours. L'unique bouffée d'air que j'avais était le trajet entre la maison et l'école. J'étouffais. Seule. Délaissée. A bout. J'ai fini par m'oublier et faire ce que je n'avais jamais fait, m'incruster. Personne ne pouvait me dire non. Ils avaient pour ordre de satisfaire mes moindres désirs. Ce que je veux, je l'ai. Et si j'ai envie de sortir, je ne peux pas être contrariée. Je n'en profite même pas. Alors un seul petit caprice, j'y ai droit. Quand Su a ouvert la porte, j'étais debout devant lui, dans ma plus jolie robe, les cheveux relevés et mon sourire timide. Il a fait la grimace, a secoué la tête et s'est mis à jeter des regards rapides tout autour de lui comme à son habitude lorsqu'il se sent dans la merde. Avec toute la malice de mon âge, je lui ai fait signe que, si, j'allais l'accompagner. Deux minutes plus tard, j'étais à l'arrière de la voiture, lui me fixait dans le rétroviseur intérieur et bougonnait à chaque feu.
La musique était mauvaise et trop forte. Su m'a laissée à l'écart, à quelques mètres du groupe que j'étais sensée rejoindre. Plus bas, de ceux qui ne connaissent pas le rythme à ceux qui pensent trop le connaître, je dansais du regard parmi eux, un peu en colère, un peut triste, avec une méchante envie de rentrer, une violente envie de gifler Su lorsqu'il reviendrait. Et je les ai vus. Lui, que je voulais voir. Elle, que je n'avais jamais vue. Une explosion d'une brutalité inouïe a fissuré les petits bouts de mon être et ma vie se déversait comme entourée d'une multitude de lames découpant ma chair. Je ne pouvais plus respirer et tenter de contenir ces larmes lourdes qui me noyaient déjà l'esprit. Elle, je serais bien incapable de la décrire. Je ne voyais que lui. Lui qui la touchait comme il me touchait. La prenait, lui parlait, la regardait, l'embrassait, l'enlaçait. Comme il le faisait avec moi. Si j'étais folle et si la douleur n'était pas si présente, j'aurais cru nous voir. Mais j'étais là, seule, sans ses bras, ses mots, ses baisers, qu'il offrait à une autre.
Il n'y avait plus de musique, il n'y avait plus cette foule, il n'y avait plus rien. Quand Su s'est approché, je n'étais plus qu'une enveloppe vide, bousculée par un cœur aussi vivant qu'un raisin sec. Je n'ai pas entendu ce qu'il me disait. J'ai seulement senti son regard prendre la même direction que le mien, puis ses mains me prendre fermement par les épaules. J'ai tremblé, presque convulsé, et il m'a lâchée. Je lui ai souri poliment avant de me tourner vers une lumière aveuglante. Il ne me restait qu'une seule chose à faire, ne rien laisser paraître et garder la tête haute. C'est à cet instant que j'ai compris que je mourrai pour et par lui. Qu'il sera la cause de ma chute. Que notre histoire jusqu'à présent n'était qu'une chrysalide. Et qu'elle venait de se changer en papillon. Il ne restait plus à notre amour que vingt-quatre heures à vivre.

Bande-son : Happy Together - The Turtles
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