Lorsqu'elle s'est réveillée, le jour était toujours mort. Je ne m'attendais pas à la revoir vivante avant encore quelques heures. Elle s'est redressée mollement, s'est frotté les yeux et a bafouillé : «Qu'est-ce que je fous là ?» Adorable, je n'ai pas tout de suite compris, j'avais seulement envie de la prendre dans mes bras et de lui dire de se rendormir. Peut-être surtout, je ne voulais pas comprendre. Je pensais que l'aube m'éclaircirait les esprits et me donnerait l'inspiration d'un mensonge convaincant. Parce qu'il faut la convaincre, elle, méfiante absolue de la stricte vérité. Elle n'a pas répété sa question, elle regardait l'oreiller et se balançait doucement, son regard flou et son attitude maladroite insistaient, criaient qu'elle ne bougerait pas sans entendre quelque chose. «Tu t'es évanouie.» Plausible, cette raison l'avait poussée pour la première fois dans ce lit. Sauf que la première fois, c'était vrai, sauf que la première fois, elle n'était que le prélude de ce qu'elle allait représenter. Si ma réponse ne m'a pas plu, ce n'est pas par culpabilité, je lui devais d'être honnête. «T'es pas trop consciente là ?» Elle a souri, a confirmé d'un signe de tête qu'elle n'était qu'à demi présente. La porte ouverte à la confession. Une chance que peut-être je pouvais me permettre d'avouer et qu'elle ne s'en souviendrait pas. «Je t'ai filé un somnifère...» Je ne me rappelle pas avoir déjà prononcé une phrase aussi vite. Ne vous imaginez rien de mal. Si je n'avais pas fait ça, elle serait partie je ne sais où, avec je ne sais qui, sinon les recoins sombres de la ville peuplés des fantômes de sa vie. Il fallait seulement qu'elle reste ici, "à portée de main", pour me rassurer. N'importe quelle autre fille pouvait bien crever dans le caniveau. Mais c'est elle. Et j'ai besoin de la savoir en sécurité autant que j'ai besoin de son parfum vanillé et son souffle sur ma peau. Peut-être qu'elle m'en voudra, peut-être qu'elle comprendra, je ne sais pas, je sais seulement que cette nuit, je réussirai à dormir. Parce qu'elle est près de moi. «... pour que tu restes avec moi.» Elle posa la tête sur mon torse et s'endormit après avoir murmuré : « Je te tuerai demain. »
Bande-son : My Girl - Otis Redding